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Paul BELARD est récompensé par VERIZON

11 septembre 2024 Association
Publié par Bernard GIRAUDET
Vue 98 fois

Dans cet article, Paul BELARD, GM 1969, ayant passé toute sa vie professionnelle aux Etats-Unis, nous relate la remise de récompenses très américaine chez Veryzon.

Mercredi 19 mars 2003.

 

Une carte de huit pages est exposée sur la table qui nous est attribuée. La couverture est traversée horizontalement par une bande jaune sur fond noir. Trois images se trouvent au-dessus : un bouquet de fleurs roses, un ensemble de pistils dorés jaillissant de l’intérieur de pétales recourbés et un papillon se posant sur une fleur.

 

En dessous est écrit « Verizon Excellence Awards ». Plus bas, commençant sur la bande jaune et se terminant sur le fond noir, on lit : « Une personne extraordinaire est assise ici. » Pouvez-vous croire que je suis la « personne extraordinaire » ? Je ne suis pas le seul, étant membre d’une équipe qui a été selectionnée pour cette cérémonie de remise de prix. Il y a des dizaines d’autres équipes composées de « personnes extraordinaires » dispersées dans la salle. C’est une grande soirée pour tous les invités.

 

Ce prix a pour but d’honorer les employés qui ont contribué aux activités de l'entreprise au-delà de l'appel du devoir, comme on dit dans les milieux militaires. Donc, pendant un temps, nous sommes « la crème de la crème », l’élite de Verizon.

 

C’est comme les Oscars, les Emmys et une cérémonie de remise de prix d’un lycée. À l’intérieur de la couverture de la carte, maintenue en place par un cordon rouge ponctué d’un joli nœud, se trouve une page de vélin sur laquelle est imprimé : « Verizon Excellence Awards, Network Services Group, Regent Wall Street, New York City, New York ».

 

En dessous, un menu vante la salade comme étant des produits verts de l’État de New York, la mousse pour dessert est qualifiée de pyramide de chocolat amer de Wall Street. Le filet mignon, en revanche, est décrit comme petit. J’aurais préféré un gros, mais ne chipotons pas. Après tout, les crevettes géantes qui l’accompagnent compenseront sûrement la taille insignifiante du filet mignon.

Les organisateurs ont fait un travail remarquable. Une longue limousine noire avait été louée par la compagnie pour que ma femme et moi puissions voyager comme il sied à une « personne extraordinaire ». Nous avons été déposés devant un grand bâtiment de Wall Street.

 

Sa façade de granit est surmontée de deux niveaux de douze colonnes, que mon patron qui est architecte, aurait reconnues comme étant de style néo-grec. L’intérieur penche davantage vers le style romain classique. L’endroit est d’une élégance omniprésente.

 

Pendant une seconde, moi qui suis né dans une ferme au milieu des volcans dans le Cantal, je me sens déplacé et aussi visible qu’une mouche noire dans un verre de lait. Heureusement, s’adapter à la vie des riches et des célèbres est d’une facilité enfantine.

 

Nous sommes entrés dans une salle imposante qui s’étend sous un dôme central doré de vingt mètres de haut. De monumentales colonnes corinthiennes soutiennent un élégant linteau circulaire orné de corniches et de frises.

 

Des voûtes en berceau et de hautes fenêtres sont ornées de détails gracieux. L’utilisation de marbre gris luxueux sur les sols et les murs, le plafond à caissons et les élégantes balustrades de la mezzanine contribue à la grandeur et à la dignité de la pièce. La structure d’origine avait été construite au milieu des années 1800 pour le Merchants’ Exchange.

 

Elle a ensuite abrité la Bourse, puis l’United State Customs House, Bureau des douanes. Lorsque cette dernière institution a déménagé, le bâtiment est devenu le siège de la National City Bank. Au début du 20ème siècle, le bâtiment a été rénové et des étages et des colonnes ont été ajoutées. En janvier 2000, le bâtiment est devenu The Regent Wall Street, le premier hôtel de luxe du quartier financier de New York.

 

Le projet qui nous avait amené là concernait le refroidissement d’équipements en utilisant la terre comme source de dissipation de la chaleur qu’ils généraient. Je m'intéressais depuis un certain temps aux systèmes d'énergie alternative.

 

La terre, quelle que soit la saison, reste à une température de 15-18 degrés C. On a donc creusé plusieurs puits, d’une profondeur de près de 150 mètres, qui contenaient des tubes en cuivre amenant l'eau chaude. Elle était refroidie par le sol entourant les puits, puis renvoyée à l'usine.

 

Le matériel permettant de creuser des trous d’une telle profondeur n’est pas quelque chose que l’on voit tous les jours. Cela a suscité beaucoup d’intérêt de la part des voisins. L’un d’eux nous a demandé si nous cherchions du pétrole, pensant que peut-être la nappe s’étendait chez lui et en ferait un homme riche.

La cérémonie est un succès éclatant. La présentation des lauréats a été faite avec éloquence par certains responsables de Verizon, agrémentée de quelques anecdotes humoristiques bien reçues.

 

Notre équipe n’a pas gagné. La plupart des prix ont été décernés à des équipes ayant participé à la restauration de l’immeuble de West Street, après les dommages qu’il avait subis lors des événements tragiques du 11 septembre 2001.

 

Un hommage mérité car ces personnes ont fait un travail formidable pour remettre le bâtiment en service en un temps record et sous des pressions énormes. En tout cas, comme le disent tant de candidats aux Oscars : « l’important, c’est d’être nommé ». Nous n’avons eu aucun regret.

 

Nous avons tout de même reçu une plaque commémorative portant l’inscription « Finaliste » et la salade, alias New York State crudités, arrosée de vinaigrette balsamique, avait été un vrai régal pour les palais raffinés. Le filet mignon fondait sur la langue, les crevettes étaient fermes et la pyramide de mousse au chocolat aigre-doux avec crème de fruit de la passion et coulis exotique se dissolvait délicieusement en bouche.

Le vin était correct et abondant. Au retour, la radio de la limousine annonçe en stéréo que le « décideur » et son équipe de conseillers ont décidé de se lancer dans une nouvelle guerre du Golfe. Des jeunes hommes et femmes vont être envoyés en Irak pour détruire les armes de destruction massive qui, selon eux, pèsent sur le monde libre comme une épée de Damoclès.

Lundi 1er mars 2004.

 

La carte posée sur la table énonce sur l’un des quadrants qui divisent la couverture colorée : « Vous détenez la clé de l’extraordinaire. » Cette phrase est encadrée par une clé qui entre dans un trou de serrure. Elle se trouve au-dessus d’une autre image représentant une clé en or posée sur deux mains ouvertes. Le symbolisme est clair : les bénéficiaires de la carte sont les gardiens de la clé du succès.

 

Sur le dernier quadrant figure le désormais familier « Verizon Excellence Awards ». Suivant le dicton « Si vous ne réussissez pas du premier coup, essayez encore », notre équipe a, une fois de plus, proposé un projet aux juges.

 

En fait, il est technologiquement identique à celui soumis l’année précédente. La seule différence est qu’il avait été installé dans un bâtiment dont l’adresse était différente. Les juges allaient-ils se faire avoir ? La possibilité que le comité se souvienne d'avoir vu un projet similaire dans un passé pas si lointain était réelle. Si c’était le cas, notre soumission aurait été rejetée d’emblée, avec peut-être une tape sur les doigts, voire plus.

 

Mais il s’est avéré que, soit le comité de révision n’avait pas une mémoire éléphantine, soit des juges différents en avaient évalué les mérites

 

Contre toute attente, nous sommes à nouveau sélectionnés. Cette année, la cérémonie se déroule au Gotham Hall de New York, un bâtiment grandiose qui occupe pas mal de mètres le long de Broadway. D’après la brochure du lieu, c’est ici que « le style rencontre la sophistication ». Pour moi, ces deux mots sont presque synonymes, mais en anglais, cela sonne mieux.

 

Nous pénétrons dans la salle de réception sur un sol en marbre magnifique. Un plafond en dôme finement doré est orné d’une verrière en vitrail en son centre. De solides colonnes corinthiennes ornent chaque extrémité de la forme ovale de la salle. Cet ancien siège de la Greenwich Savings Bank prouve que les banquiers savent prendre soin d’eux-mêmes de manière grandiose.

 

Ils savent toujours se récompenser avec panache et l’argent des autres, et apparemment sans conséquence, comme en témoignent leurs dernières manigances de 2008.

A l’intérieur de la carte est imprimé : « Verizon Excellence Awards, Network Services Group, Gotham Hall, New York City, New York ». Le menu est moins raffiné que celui de l’année précédente. La salade s’appelle simplement « salade ».

 

Du bar tacheté, du filet de bœuf carbonisé et du pudding au pain au chocolat blanc suivent. Dans l’ensemble, un menu plutôt banal, mais à cheval donné on ne regarde pas les dents. Notre table est devenue un peu tendue lorsque notre catégorie est annoncée. Les réalisations des équipes en compétition pour le prix d’excellence sont lues à haute voix.

 

Au moment où « l’enveloppe s’il vous plaît » arrive, ma femme me serre la main pour me souhaiter bonne chance. Lorsque le nom de notre équipe est lu et que ses membres sont invités à monter sur scène, je me suis senti presque aussi étourdi que lors de mon premier rancard avec une fille. Un responsable de Verizon, dont je n’ai pas retenu le nom, serre la main de chacun d’entre nous.

 

C’était un moment à compter parmi les meilleurs que Verizon m’a offerts. Quelle reconnaissance de tout le travail acharné et du dévouement qui passent si souvent inaperçus. Ce moment près du sommet, même s’il a été bref, a été savouré, apprécié et valorisé. C’était un moment pour les parents. On aimerait qu’ils soient encore là pour voir qu’ils ont fait du bon travail avec leurs enfants.

 

Plus tard, nous sommes allés recevoir le trophée qui commémorait cette réussite. Pas étonnant qu’il n’ait pas été remis sur scène. Ce truc pèse près d’une tonne. Il n’est pas très classe, compensant par sa masse ce qui lui manque en grâce. Un gros logo Verizon en marbre « V » reposait sur une base en marbre tout aussi épaisse.

 

Entre les branches du « V » était encastré un cercle de verre dans lequel était gravé : « Verizon Excellence Awards ». Le prix comportait également une composante monétaire. J’ai ouvert l’enveloppe, m’attendant à ce qu’être une « personne extraordinaire détenant la clé de l’extraordinaire » vaille quelques milliers de dollars, peut-être plus. Quelle déception de trouver un chèque qui, après impôts, ne suffirait même pas à couvrir un repas correct dans un bon retaurant.

 

Le montant ne permet même pas d’acheter une bonne bouteille de Sauternes ou de Gevrey-Chambertin. Il semble qu'un repas gratuit, un trophée et une promenade en limousine constituent une récompense suffisante aux yeux de l'entreprise.

Jeudi 30 octobre 2008.

 

Dans mon modeste bureau d’Huntington, une épaisse enveloppe blanche m’est tendue avec précaution par mon supérieur immédiat. Dans ma main, elle semble aussi lourde qu’une des tables des Dix Commandements. Au-dessus de la fenêtre en cellophane est imprimé un inquiétant « confidentiel », en majuscules rouges.

 

À travers cette ouverture, un avertissement alarmant enjoint : « À ouvrir uniquement par le destinataire ». Si je n’avais pas eu conscience de ce que cela présageait, cela aurait été très menaçant. Au moins, il n’y avait pas ajouté : « À détruire après lecture ! » Dans le coin supérieur gauche, une adresse indique que cette enveloppe provient des Ressources Humaines. Je ne sais que trop bien ce qu’elle contient.

 

Une nouvelle vague de licenciements était annoncée depuis des mois. Un pressentiment que cette fois, je n’allais pas y échapper me taraudait. C’était comme si j’avais un aperçu de la courbe de mon avenir. J’ouvre l’enveloppe avec un calme que je n’ai pas besoin de feindre. Il est temps de faire face à la musique qui, je le savais, ressemblerait plus à un chant funèbre qu’à l’Ode à la Joie. La pile de papier que j’extrais se compose de plusieurs dizaines de pages. Seigneur, c’est plus long qu’un roman russe. Qu’est-il arrivé à la simple lettre de licenciement !

 

Ma lecture commence par une lettre de notification. Le premier paragraphe dit : « Ceci est pour vous informer qu’en raison de réductions, de réaffectations ou de réorganisations de l’effectif, vous êtes maintenant dans la période de redéploiement d’une réduction des effectifs (RIF)… » Super, maintenant je peux ajouter cela à ma carte de visite : Paul F. Belard, MME, PE, CEM, RIF.

 

La suite : Votre dernier jour de travail actif sera le 6 novembre et votre dernier jour de paie sera le 28 novembre 2008. » Hmm, licencié juste avant Thanksgiving, Jour d’Action de Grâces, quelle attention ! C’est un sujet dont on allait être friand de pouvoir discuter autour de la table du repas. Les actions altruistes du monde des affaires ne cessent jamais d’étonner. Ce qui suit est une table des matières plus longue qu'une journée sans pain. Quelques-uns des points saillants : - Lettre de notification - Accord de séparation et libération - Explication des calculs d'indemnités de départ -. Il y avait encore quatorze sections à digérer. J'ai décidé de les lire avant d'aller me coucher car elles seraient certainement plus efficaces qu'un somnifère.

 

Qu'était-il arrivé à un ancien lauréat du « Verizon Excellence Award » ? Était-ce simplement que ce que les Romains avaient découvert il y a longtemps l'avait rattrapé ? Sic transit gloria mundi, disaient-ils, « Ainsi passe la gloire du monde ». Autrefois, le pape nouvellement élu quittait la basilique Saint-Pierre assis sur son trône portable richement décoré et recouvert de soie.

 

En chemin vers son troupeau en adoration qui l’attendait sur la place, un maître de cérémonie papal tombait à genoux devant lui. Par trois fois, il disait d’une voix tonitruante mais lugubre : « Saint-Père, ainsi passe la gloire du monde ! » Ces mots rappelaient au pontife infaillible la nature transitoire des honneurs terrestres. Je dois avouer que ces détails historiques ne m’apportent aucun réconfort. Mon patron a pris congé, me tapotant l’épaule dans un geste d’empathie apprécié. Je me suis retrouvé seul avec mes propres pensées.

 

Qu’est-il arrivé à la « personne extraordinaire » ?

 

Comment « la clé de l’extraordinaire » est-elle devenue la clé qui allait ouvrir la porte de sortie de l’entreprise ?

 




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1 Commentaire

André MAINTIGNEUX (1973)
Il y a 9 heures
Ah, Paul et les strass américains. On ne s'habitue pas à être reconnu pour son efficacité mais les "récompenses" ne sont jamais à la hauteur des trésors d'imagination et de débrouille qu'il faut dépenser pour aboutir. Dommage qu'il n'y ait pas de pétrole sous Wall Street, ç'aurait été le pompon! Quelle rigolade la vie!

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