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La vie américaine, ses syndicats et la vie quotidienne
Paul BELARD revient avec un épisode croustillant de son parcours.
Nous nous apercevons ainsi que la vie américaine est assez particulière avec ses syndicats.
Et Paul nous détaille la vie new-yorkaise avec de bons moments américains :
"La compagnie des téléphones se compose de deux types de salariés, ceux qui sont syndiqués et les autres. Les premiers sont protégés par des contrats de travail, les autres ne le sont pas.
Par conséquent, ces derniers agissent au gré des dirigeants et du conseil d’administration, sans aucune organisation pour les représenter et les défendre.
La durée normale du contrat syndical est de quatre ans. Quelques mois avant son expiration, des discussions préliminaires ont lieu. Le plus souvent, elles n’aboutissent à rien et les syndicats font preuve de leur force de la seule manière qu’ils connaissent : en faisant grève !
Cela se produit lorsqu’un nouveau contrat n’est pas en vigueur le jour de l’expiration du précédent, généralement juste après minuit.
Les salariés non-syndiqués sont alors mis d’astreinte pour remplir les fonctions des grévistes.
Lorsqu’il y a une grève, des piquets de grève se forment aux entrées de la plupart des bâtiments et les employés sont obligés de faire face à un chahut souvent insultant avant d’entrer dans l’immeuble qui leur est assigné. Conformément aux instructions de la direction, aucune confrontation n’est autorisée, même pas à leur faire un doigt d'honneur. Je peux confirmer que cette promenade humiliante n’est pas une expérience agréable, pour en avoir vécu pas mal.
Je me demande toujours pourquoi ils n’allaient pas faire leurs manifestations devant les résidences privées des pontes de la compagnie. Ou pourquoi ils n’en kidnappaient pas un ou deux dans leurs bureaux comme en France.
La situation était encore pire lorsque certains olibrius, ( baptisé The Goon Squad ) prenaient sur eux d'améliorer leurs compétences en matière de harcèlement. À Manhattan, il y avait un groupe motivé d'une douzaine de syndicalistes qui sautaient dans une camionnette et allaient de buildings en buildings pour pourchasser les « briseurs de grève » via mégaphone, avec des épithètes explicites.
Cette « l’escouade des crétins » s’en prenaient le plus souvent à un seul individu. Le courage n’a jamais été une caractéristique des intimidateurs qui viennent en groupe pour victimiser une cible innocente. La camionnette la suivait alors qu'elle quittait le bâtiment pour aller déjeuner ou se promener et la houspillait pendant qu'elle mangeait ou marchait, criant « scab », (équivalent de jaunes) et d’autres choses pas si gentilles.
Un jour, une femme revint en larmes, racontant entre deux sanglots ce qui lui était arrivé. Elle avait été l'une de leurs victimes. Un collègue qui avait quelques amis dans la police les contacta. Il expliqua la situation et la police décida de donner une leçon aux grévistes. C’était un peu inhabituel car les policiers sont aussi syndiqués, et entre syndicats, on se soutient. Les manifestants étaient bien préparés : ils étaient assis sur des chaises longues, des glacières bien remplies de produits froids à portée de main ; si on ajoute les boombox diffusant de la musique belliqueuse, « ils piquettaient » avec style.
Plusieurs agents sont venus expliquer que la loi était très explicite concernant les piquets : flâner n'était pas permis ; ils devaient marcher à tout moment, en portant des pancartes s’ils en avaient. Ensuite, ils ont procédé à l’application de ladite loi, parfois avec la pointe de leurs matraques. À contrecœur, les grévistes se sont levés et ont commencé à marcher, puis à se disperser. Les grévistes ne pouvaient même pas s'arrêter pour récupérer une canette de bière dans les glacières. Une demi-heure plus tard, les trois quarts d'entre eux s'étaient retirés chez eux ou dans un bar voisin. Après deux jours de ce traitement, l'entrée du bâtiment était libre de piquets. « The Goon Squad » a également compris le message haut et fort. Accusés de certaines violations du code de la route, une nuit au poste les a calmés pour un temps.
Les grèves étaient suffisamment dures pour les non-grévistes sans avoir à subir les insultes des grévistes. Ne confondez pas le mépris que j'éprouve à l'égard de la mauvaise attitude de certains grévistes sur les piquets de grève avec une aversion pour les syndicats.
Au contraire, j’estime leur existence nécessaire pour constituer un contrepoids nécessaire aux excès de l’autre camp.
Un jour, mon boss m’a demandé de suivre un stage pour obtenir une licence pour utiliser des larges machines de réfrigération. Je n’en voyais pas tellement l’intérêt, mais les coûts liés à cette licence étaient payés par l'entreprise, alors, pourquoi pas.
Si j’avais su que les unités de réfrigération à Manhattan devaient être supervisées par des ingénieurs agréés, j’aurais été moins enclin à l’acquérir. Une fois cette licence obtenue, ma mission en cas de grève était d’être affecté comme ingénieur en bâtiment au 140 West Street, à moins d’un jet de pierre des deux tours du World Trade Center et à côté du Seven World Trade Center.
Si ce n'était pas si loin de chez moi, j'aurais vraiment apprécié cette mission. 140 West Street est en effet une structure magnifique. Il a peut-être été éclipsé par la hauteur des tours du World Trade Center, mais leurs lignes austères n'ont fait qu'accentuer la grandeur et la grâce du premier bâtiment art déco de New York.
Conçu par Ralph Thomas Walker, architecte du cabinet McKenzie, Voorhees et Gmelin, il a été achevé en 1926. Le hall présente des murs en marbre et d'autres décorations ornées, notamment des peintures murales au plafond qui illustrent l'évolution de la communication humaine, des coureurs aztèques au téléphone. Walker s'est inspiré de l'architecture maya pour concevoir la façade. L'ornementation extérieure comprend des feuillages exotiques, ainsi que des têtes de bébés et d'animaux dans le cadre du design, ainsi qu'une cloche, symbole de la compagnie de téléphone, au-dessus de la porte. Le bâtiment était connu à l'époque sous le nom de bâtiment Barclay-Vesey.
Lors de sa première mise en service, le bâtiment était le siège à la New York Telephone Company. A présent, plus de deux tiers du bâtiment ont été transformés en appartements de luxe.
Mes tâches consistaient à assurer le bon fonctionnement du système de climatisation. Il y avait quatre unités de réfrigération dans le troisième sous-sol (qui sera complètement inondé après les attentats du 11 septembre), plusieurs unités de traitement d'air dans tout le bâtiment et des tours de refroidissement sur le toit. J’avais contacté les techniciens avant la grève pour qu’ils me donnent des tuyaux sur leurs responsabilités. Un groupe sympa d’ailleurs ; Ils avaient mis à ma disposition leur frigo bien rempli, leur télévision et VCR et leur collection de films pornos.
Heureusement, la première grève à laquelle j'ai participé, en 1996, n'a pas duré longtemps, seulement une dizaine de jours. Ma mission était de nuit. De 7 heures du soir à 7 heures du matin, j'étais seul. Déambuler dans cet immense bâtiment n'était pas un sentiment réconfortant, surtout dans les couloirs menant aux sorties dans les rues dont on savait que les portes étaient régulièrement forcées pour abriter des sans-abris et des toxicomanes occasionnels.
Souvent, j'allais sur le toit. Je laisse mes yeux errer sur les bâtiments enveloppés dans la brume bleu foncé de la nuit. Ils s'étendaient dans toutes les directions.
Quelles étaient ces millions de vies vécues dans ces structures ? Des familles en train de dîner, des gens participants à une veillée funèbre, des parents célébrant le baptême de leur premier enfant, des malades attendant le répit que pourrait leur apporter le sommeil, des jeunes à une surprise-partie, des truands en quête de mauvais coups. La ville vivait, respirait et conservait ses mystères.
Les seuls bruits à cette hauteur étaient ceux des ventilateurs des tours de refroidissement, les jets d'eau qui coulaient à travers ces tours et le faible grondement des moteurs entraînant les pompes poussant l'eau à travers les tuyaux. Les deux tours du World Trade Center se dressaient au-dessus. Elles me rappellent toujours des souvenirs.
J'avais travaillé quelques mois au dernier étage de l'une d’elles, au début des années 1980. Je me souvenais encore d'être entré dans l'un des immenses ascenseurs. Lorsqu'il a commencé son ascension, c'était comme être à bord d'un missile qui décollait. Arrivé au 95ème étage, j'ai dû appuyer sur mes deux oreilles pour les remettre en état de marche.
Vivre près de Huntington, à Long Island, ne laissait pas beaucoup de temps pour se remettre de l'horaire de nuit. Généralement, le métro et le train me ramenaient chez moi vers 10h00. Je devais repartir à 16h00 pour être au bâtiment à temps pour le quart de nuit.
Le prochain arrêt de travail a eu lieu en 2000. Il a été plus long et plus dur. À ce moment-là, probablement en raison de mes plaintes concernant l'insécurité d'être seul et la responsabilité de l'entreprise en cas d'accident, un collègue avait été désigné pour faire la tournée avec moi. Les heures supplémentaires obligatoires et les problèmes de stress liés au travail ont conduit les syndicats à se mettre en grève.
Cela a duré trois très longues semaines. Après, nous, les managers, aurions pu faire notre propre grève sur les mêmes sujets !
L’astreinte est de douze heures par jour, sept jours par semaine, avec un jour de congé après un mois si vous pouvez être libéré.
Alors que les heures au-dessus d’une semaine normale sont majorées de 50%, cela ressemble vite à de l’argent du sang. C'est stressant, surtout de devoir franchir des piquets de grève deux fois par jour. C'est épuisant pour ceux qui vivent loin. Cela ne laissait pas beaucoup de temps pour se détendre, juste le temps de faire une sieste si un idiot ne vous « bipait » pas pendant la journée pour vous transmettre une information inutile. Le seul bip qui aurait pu être toléré était celui annonçant la fin de la grève.
Mon partenaire pendant la grève était un type drôle, plein de ressources. Il venait du service des achats, sans aucune formation technique. Il souffrait d’apnée, un problème dans lequel les voies respiratoires supérieures s’effondrent, provoquant un arrêt répété de la respiration, rendant un sommeil réparateur impossible et quelque peu dangereux. Le lendemain soir, il a donc apporté son appareil CPAP, un appareil respiratoire qui permet de lutter contre les difficultés respiratoires lors des troubles du sommeil. Il portait également un matelas pneumatique qu'il gonflait consciencieusement tous les soirs à minuit. Il dormait comme un bébé jusqu'à six heures du matin. Un soir, nous avons trouvé des pots de peinture dans le bureau avec un message pour appeler un numéro.
Certains managers zélés ont dû penser que, puisqu’on avait du temps libre, on pourrait tout aussi bien l’utiliser pour repeindre les bâtiments gratuitement. Inutile de dire que je n’avais pas l’intention de le faire, arguant qu’en tant qu’ingénieur en bâtiment agréé, la manipulation d’un pinceau ne relevait pas de mes fonctions. Mon collègue a pensé que cela pourrait être amusant et une manière intéressante de passer quelques heures. Il est allé peindre une pièce quelque part dans le bâtiment. Plus tard, un manager m'a appelé : « J'ai reçu un appel téléphonique de votre collègue. Il demande s'il doit peindre autour de l'eau ». « Je ne sais pas de quoi il parle », répondis-je. "Alors, découvrez-le !" J'ai cherché l'apprenti peintre. Il se trouvait dans une salle d'équipement, tamponnant le sol, évitant soigneusement les flaques d'eau créées par les fuites des vannes. « Pourquoi ne resserrez-vous pas la garniture des vannes ? » lui ai-je demandé. "Qu'est-ce qu'une garniture ? " me répondit-il. "C'est cette partie ici qui empêche la valve de fuir", lui dis-je en désignant le haut de la valve. "Maintenant, va chercher une clé." "C’est quoi ? " À ce stade, je lui ai dit de s'abstenir de salir le sol et d'aller piquer son roupillon.
Sans les longues heures et la fatigue, la grève aurait été une pause agréable dans nos tâches habituelles.
Un soir, vers 23 heures, alors que j'étais au sous-sol en train d'enregistrer les températures et les pressions dans les registres quotidiens de la salle des machines, l'interphone de l'immeuble a craché mon nom : « Paul Bélard, veuillez-vous présenter immédiatement au directeur adjoint des incendies. ”Que se passe-t-il maintenant ?" a été ma première pensée, " un feu quelque part ?" Conformément au code de la ville de New York, chaque bâtiment dépassant une certaine hauteur et contenant du matériel doit être surveillé par un directeur des pompiers vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
L’ascenseur mettait du temps à arriver, alors j’ai monté trois étages et j’ai atteint le bureau du directeur adjoint des pompiers, essoufflé, m’attendant au pire. "Que se passe-t-il ?" » ai-je demandé au député, haletant comme un chien qui aurait tenté d'attraper une voiture qui passait. « Eh bien, bonne nouvelle, j'ai reçu le DVD dont nous avons parlé. On le regarde maintenant ? « Bien sûr, pourquoi pas ! Mais la prochaine fois, pourquoi n’attends-tu pas que je revienne pour éviter que j’aie une crise cardiaque ? » Nous sommes donc restés assis dans son bureau pendant deux heures, sirotant un coca light et grignotant des frites, regardant un film sur la télévision qu'il avait apportée pour passer le temps. Il s'appelait Le Dîner de Cons, un film français dont le remake américain s'intitulait Dinner for Schmucks.
Après cela, je me suis retiré dans une pièce que j'ai fermée à clé, car nous n'étions pas censés dormir pendant notre travail. Un autre zélote faisait également le tour des bâtiments pour essayer de surprendre quiconque se laissait aller à de beaux rêves dans les bras de Morphée.
Avec le manque de sommeil, principalement dû au long temps de trajet vers et depuis la maison, un peu de sommeil était une nécessité pour ma survie. Alors je m’endormais pendant cinq heures. C’était devenu une routine après onze heures pendant toute la durée de l’arrêt de travail : un film et un roupillon. Tout ce qui manquait, c'était un bon dîner et un verre de vin.
Suite aux attentats du 11 septembre 2001, il n'y a pas eu de grève en 2004. Pour l'année 2008, j’avais pris mes précautions. J'avais rempli des formulaires expliquant pourquoi douze heures de travail couplées à six heures de voyage n'étaient pas propices à l'exercice en toute sécurité de mes fonctions, qui comprenaient la supervision de machines lourdes. Contre toute attente, ma demande a été approuvée et l’entreprise m’a autorisé à louer une chambre dans un hôtel voisin. Pensez-y, je quitterais le bâtiment du téléphone à 7h00 du matin et je dormirais à 7h15 dans une chambre confortable. Mais cela n’a servi à rien car la grève n’a jamais eu lieu.
La société était en train de déployer FiOS, son service Internet et vidéo par fibre optique à New York. Le paysage des télécommunications a été radicalement modifié par les nouvelles technologies au cours des dernières années. La longue grève de 1989 avait été gênante pour les clients.
L’entreprise a vu ses bénéfices diminuer pendant un certain temps, mais le client était coincé, n’ayant d’autre choix que de supporter les inconvénients. Ce n’était plus le cas. Le client pouvait quitter Verizon à tout moment, frapper aux portes de Cablevision, Time Warner ou Dish Network, entre autres et être accueilli à bras ouverts. Les syndicats l’ont compris aussi bien que la direction. Tous deux sont rapidement parvenus à un accord sur le fait qu’une grève serait mauvaise pour tout le monde."
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