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Début de carrière américaine à Chicago
Voici le 4ème épisode de la carrière de Paul Bélard, GM 1970.
Après une belle expérience inaboutie chez Michelin, Paul Bélard entame sa vie professionnelle américaine chez Union Carbid à Chicago
Une grande partie des premières semaines est consacrée à la recherche d’un appartement. On en trouve un dans le Carl Sandburg Village qui est un projet de rénovation urbaine de Chicago des années 1960 dans le Near North Side de Chicago. Il a été nommé en l’honneur de Carl Sandburg, un poète, biographe, journaliste et éditeur américain. Il a remporté trois prix Pulitzer : deux pour sa poésie et un pour sa biographie d’Abraham Lincoln. Le prix est dénommé après son fondateur Joseph Pulitzer, un homme politique américano-hongrois et éditeur de journaux. Un des plus célèbres poèmes de Sandburg est « La route non empruntée. »
Deux routes ont divergé dans un bois, …
J’ai pris celle qui était la moins fréquentée,
Et cela a fait toute la différence.
L’appartement est au nord de Chicago, dans la fameuse côte d’or de la ville, mais le loyer est tel qu’on peut se le permettre. Notre résidence est au 28ème étage, avec une magnifique vue sur le sud et l’ouest de la ville. La tour Sears dresse fièrement ses 450 mètres en face de nous. À son achèvement en 1974, elle a dépassé le World Trade Center de New York pour devenir le plus haut bâtiment du monde, un titre qu’elle a détenu pendant près de 25 ans. Sears, une chaîne de grands magasins, est le premier représentant américain des pneus Michelin. Si on se penche (très) légèrement par la fenêtre, on peut apercevoir un peu du lac Michigan. Sur le côté ouest, il y a un petit balcon. L’utiliser donne une impression de vertige insupportable.
Lorsque je fais part à ma mère que nous sommes à Chicago, elle me demande pourquoi nous sommes allés dans cette ville de gangsters. La réputation d’Al Capone perdure, même à Lyon !
Un matin, au volant de la Camaro, je me rends au travail. Brusquement, une sirène se déclenche derrière moi. Une voiture de police me suit. Je me range sur le côté pour la laisser passer mais elle me colle au parechoc arrière. Mince, c’est après moi qu’ils en ont. Deux policiers en descendent, avancent de chaque côté de ma voiture, la main sur leur pistolet. Un tourniquet de l’index de celui à gauche m’enjoint de descendre la vitre. Franchement, je ne sais pas ce que j’ai fait d’illégal, peut-être un excès de vitesse. Avec leur casquette cerclée d’un damier blanc et noir et leur personnalité pas vraiment sympa, je deviens un des personnages des aventures de Tintin en Amérique. Avant qu’ils puissent m’expliquer les raisons de cette interpellation, un appel radio arrive et ils regagnent leur voiture en quatrième vitesse, non sans me faire signe de déguerpir. La raison de cet arrêt reste un mystère, mais je remercie cet appel de radio opportun.
Un indien, d’Inde, travaille avec moi. On s’entend bien. Le gars a un physique de star d’Hollywood. Il doit repousser les filles qui s’approchent de lui en masse. Un jour, il disparaît. Finalement, un de ses copains me dit qu’il est retourné en Inde pour épouser la fille qui lui a été choisie par les deux familles. Je lui souhaite que sa promise ne soit pas laide !
Avec les distances, on se fait peu d’amis solides avec les collègues du bureau. On entre en contact avec un architecte français qui ne réside pas très loin de nous. On sympathise. Sa femme, américaine, avait fait une visite à Moscou. Depuis, elle est harcelée par le FBI pour s’assurer qu’elle n’en est pas revenue convertie au communisme. Les G-men interrogent même les voisins pour vérifier qu’elle ne propage pas des idées anti-américaines. Cela l’éprouve beaucoup, mais pas au point de renoncer à nos parties de bridge. Avec eux, on se lance un week-end vers l’ouest pour aller voir le fameux Mississippi. Quel spectacle. Le coucher de soleil est magnifique sur sa largeur qui doit dépasser un bon kilomètre. Et de penser que l’immense territoire qui le borne des deux côtés tout le long de son cours a appartenu pour un temps à la France.
La vie à Chicago est plaisante. Elle satisfait mon besoin d’aventures. Le lac est comme une mer, on n’en distingue pas les côtes opposées. Il est soumis à des tempêtes violentes dont les vagues inondent les avenues adjacentes. Les plages sont étroites mais belles. Ma vénération pour le blues est récompensée. Les bars ont presque tous un trio ou un quartette qui jout chaque soir. On y passe beaucoup de soirées à siroter une bière et absorber les plaintes et les colères des blues.
L’hiver est rigoureux. Un vent venant du nord et sans obstacles pour freiner son ardeur déferle régulièrement sur la ville. J’ai souvent vu des gens s’agripper aux poteaux ou aux boîtes à lettres qui sont sur les trottoirs pour éviter d’être plaqués au sol par de fortes bourrasques. La ville est d’ailleurs surnommée The Windy City, la ville venteuse, mais ce sobriquet serait en fait dû aux politiciens verbeux, windbags, qui adorent le son de leurs voix, qui parlent longuement trop souvent pour ne rien dire.
Lorsque le printemps arrive, il est accompagné de tornades qui dévastent l’intérieur du pays. Un soir, une alerte est annoncée. Nous sommes informés de nous mettre à l’abri dans les sous-sols de l’immeuble, mais de ne pas prendre un ascenseur. Descendre 28 étages à pied, non merci ! Le ciel passe d’un noir d’encre à un vert-de-gris aussi inattendu que menaçant. De notre point de vue, la tornade qui arrive est visible de très loin. Peut-être à cause de la distance et de notre hauteur, elle semble être en dessous de nous. Pendant un moment, elle semble se diriger droit vers notre quartier, mais aux abords de la ville, elle vire sur la droite, prend de l’ampleur. C’est le sud de Chicago qui déguste, là où se trouve le bureau d’études. Le lendemain, en allant au travail, les dégâts qu’elles a causés sont effrayants : toitures arrachées, façades brisées, arbres déracinés, certains tombés sur des maisons et des voitures.
La conversion des documents américains aux normes françaises se passe bien. Un groupe indépendant vérifie les dessins pour s’assurer que les diverses disciplines sont bien coordonnées. Plus tard, dans les bureaux d’ingénierie, ce groupe sera supprimé dans le but de réduire les coûts d’un projet. Dommage, il éliminait beaucoup des problèmes qui faisaient ensuite surface pendant la construction et pour lesquels les « change orders » proliféraient.
Mon job à Chicago est terminé en six mois. A la fin de cette phase du projet, je suis convoqué par le directeur. « Nous aimerions vous garder. Voudriez-vous retourner en France pour continuer le projet ? » Je lui demande quel sera mon rôle. « Etablissement des appels d’offre, sélection des sous-traitants, adjudication des contrats, paiement des factures, supervision d’une partie de la construction » énumère-t-il.
Cela me convient très bien. J’en profite pour suggérer qu’une augmentation de salaire ne serait pas malvenue. Il me confirme que, bien sûr, les frais de voyage et de déménagement seront à la charge de l‘entreprise, aller et retour. Je lui réplique que c’est l’évidence même. Il rechigne à l’augmentation que je redemande, mais propose d’embaucher mon épouse comme ma secrétaire. Ma femme est d’accord. Pas mal vu par le patron, il touche maintenant une plus-value sur deux salaires au lieu d’un. La vie est curieuse, on quitte la France en décembre, on y retourne en juillet.
Avant de quitter le pays, pour une raison qui reste toujours inconnue, nous sommes convoqués par le service des impôts. On doit les payer avant de partir afin de pouvoir revenir plus tard, nous dit-on. En fait, ils doivent avoir peur qu’on ne remette jamais les pieds ici sans les régler. La confiance règne dans ce pays !
Après deux semaines de vacances en Vendée, nous sommes logés à l’hôtel Concorde-La Fayette, Place Maillot. Pas mal, mais la recherche d’un appartement recommence. La seconde phase du projet débute dans un bureau Boulevard des Batignolles dans le 17eme arrondissement de Paris.
1 Commentaire
Ca commence fort et sans nuances inutiles, comme d'hab! Mais surtout, ça donne envie de connaître la suite avec les sensations, les étonnements et les questions sans réponses. Bravo.
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